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Récit : Voyage sur les traces de la déportation de mon grand-père – François Cornella

Dernière mise à jour : 22 mai


Photos Nadège Leclerc - François Cornella - Photo du milieu en 1944


Sur les traces de son grand-père déporté, un voyage de mémoire bouleversant

À l’occasion des 80 ans de la libération des camps, Nadège a entrepris un voyage en Alsace et en Allemagne pour reconstituer le parcours de son grand-père, résistant et déporté.

Ce récit intime et profondément émouvant nous plonge dans une quête de vérité, de transmission et de mémoire.

À travers les lieux, les archives, les rencontres – notamment avec ceux qui, en Allemagne, œuvrent eux aussi à faire vivre cette mémoire – Nadège redonne vie à l’histoire silencieuse de son grand-père et nous rappelle combien il est essentiel de ne pas oublier.

Nous sommes heureux de partager avec vous ce témoignage rare, porteur d’humanité et d’espoir.


Récit de Nadège Leclerc :


Tout commença en janvier 2025, alors que je venais de me faire opérer du genou. Six semaines sans appui, en arrêt de travail, que vais-je faire à la maison ?

Et puis il y a eu les commémorations de la libération d'Auschwitz : 80 ans après. Mais qu'en est-il de la déportation de mon grand-père ? Je réalise que je ne sais rien, quasiment rien de son parcours.

Il a été résistant en Bretagne, puis s'est fait arrêter à la prison du camp Marguerite de Rennes. Puis le convoi dit de Langeais, où le train a été bombardé en août par les Alliés, permettant des évasions de détenus. Il a continué son voyage dans ces wagons à bestiaux et est arrivé au Struthof, puis à Dachau.

Papy était résistant déporté et je n'en savais pas plus. Il n'en parlait que très rarement, et je n'osais pas l'interroger sur cette période, de peur de lui raviver des souvenirs, comme un tabou, un secret de famille. Il y a 30 ans, c'étaient des choses dont on ne parlait pas et les enfants ne posaient pas de questions.

Peut-être tout cela était-il loin de lui aussi, qu'il avait oublié ? Je me trompais : quand on vit cet enfer, cela ne s'oublie pas, il n'y a pas de mot pour dire l'indicible.

Ce n'est qu'aujourd'hui que je comprends ce silence. À leur retour, les déportés étaient peu entendus, on leur disait qu'ils exagéraient, qu'ils n'étaient pas les seuls à avoir eu faim, à avoir souffert de la guerre, etc.

Alors, les déportés se sont tus et se sont regroupés. Papy était adhérent de plusieurs amicales et a participé à plusieurs commémorations, sans nous en parler. Il a eu la Légion d'honneur, sur son cercueil, le drapeau de la France. J'étais fière de lui, sans le connaître, sans lui avoir dit.

J'ai donc mis à profit cet arrêt maladie pour écouter des podcasts, lire des livres, des BD sur le sujet de la déportation. Et surtout, j'ai fouillé les archives sur internet, contacté différentes personnes, demandé des dossiers aux différentes archives en quête d'informations sur le parcours de mon grand-père : François Cornella.

J'ai réussi à reconstituer avec des dates son parcours de l'enfer, ses matricules et autres informations :

• avec son entrée en résistance, le 28 mars 1944 dans les Côtes-d'Armor

• son arrestation, les armes à la main, au maquis de Senven-Léhart où tous ont été abattus sur place ou fusillés au camp d'aviation de Servel à Lannion, à part les deux plus jeunes du groupe : Jacques Renaud et François, mon grand-père. Condamnés à la déportation à vie

• son internement une semaine à la Kommandantur de Guingamp puis au camp Marguerite à Rennes jusqu'au 1er août, la veille de la libération de la ville. Là, il a appris le débarquement des Alliés. Il ne se doutait pas qu'il ne reviendrait que 13 mois plus tard en France et passerait ses 20 ans dans les camps ! 

• son transfert au Natzweiler-Struthof, avec ce train bombardé à Langeais le 6 août, la halte du 15 au 26 août, 10 jours à Belfort

• son arrivée le 26 août à Natzweiler et cette tenue rayée, puis le transfert à Dachau le 2 septembre, à Allach, puis il a fait partie des 400 du Sportplatz avec l'ouverture d'un nouveau camp à Haslach le 16 septembre. À leur arrivée : pas de lit, pas de repas. Le travail à la mine située à 5 km du baraquement, l'hiver

• le 15 février 1945, évacuation du camp de Haslach et de ses 1 000 déportés, en deux groupes : les valides et les non valides évacués à Vaihingen, le camp mouroir. Mon grand-père est dirigé vers Vaihingen. Et en mars 1945, il est enregistré dans le registre de l'infirmerie du camp, avec suspicion de typhus. Mon grand-père doit sa survie à un copain qui lui apporta de l'eau régulièrement. Le 7 avril 1945, l'armée française, guidée par des odeurs nauséabondes, découvre le camp et libère les hommes. Un transfert vers l'hôpital de Speyer pour les plus malades est organisé. Mon grand-père laisse alors son copain, Georges Ronceray, qui écrira à sa mère pour l'informer sur son fils : il vivra

• 17 juillet 1945, le train de Mulhouse le ramène à Paris. Sûrement par le Lutetia. J'imagine qu'il y retrouva sa mère, qu'il affectionnait tant. Dans un écrit, il explique que survivre pour sa mère fut son moteur.


Suite à la reconstitution de ce parcours, il me reste mille questions, comme :

« A-t-il été torturé à son arrestation comme ses camarades ? »,

« Comment est-il rentré dans la Résistance ? »,

« Dans quels blocks a-t-il été mis dans les différents camps ? »,

« Qui étaient ses camarades dans les camps ? »,

« Quel était son état d'esprit à ses différentes étapes ? »,

« Comment a-t-il fait pour tenir debout, corps et esprit ? »...


Mais surtout, cette recherche m'a donné l'envie de ne pas oublier, de transmettre à ma fille cette part de l'histoire, de son histoire familiale mêlée à la grande Histoire. Comme une évidence, aux vacances d’avril, je suis donc partie en Alsace et en Allemagne avec elle, haute de ses 3 ans, et de mon compagnon, pour voir, sentir.

Mais aussi, comme pour m’excuser de n’avoir pas su interroger mon grand-père, pas su l’écouter me parler de cette période les fois où il faisait allusion à cette période.

Chez lui, nous devions finir nos assiettes, pas de gaspillage, les régimes étaient impossibles : « Là-bas, il n’y avait pas de gros, si tu veux maigrir, tu n’as qu’à pas manger ! »

Mais aussi cette philosophie de vie : « Profite de ces instants de bonheur, boire un verre avec les amis, c’est ça, la vie. »

Chez lui, il y avait toujours une bouteille prête à être débouchée, un saucisson à être partagé. J’aurais aimé pouvoir le soulager de ce fardeau silencieux qu’il portait et lui dire : on n’oubliera pas.

Un voyage qui transforme, et qui donne envie d’œuvrer à la mémoire, alors voilà, je vous le partage.

Mardi 22 avril : le concert intitulé « Ô Terre de Détresse », organisé par la mairie de Grenoble et l’UNADIF 38, comme un début de voyage, une première larme qui coule sur les joues...

Vendredi 25 avril : je visite le camp de Natzweiler.

Mon compagnon joue avec notre fille sur le parking pendant ce temps. Le guide est intéressant et passionné. Il cherche à partager sa connaissance. En aparté, nous échangeons. Il me transmet le contact de l’historien, pour que je puisse lui transmettre mes infos sur mon grand-père afin de donner des visages aux déportés et de lui partager mes questions, si jamais il peut répondre.

Samedi 26 avril : à Haslach, 96 km plus loin, j’ai rendez-vous avec un Allemand.

Une rencontre bouleversante avec Soren, professeur qui a 80 ans... Il a œuvré pour que soit créé un mémorial pour le camp de concentration de Haslach, dont l’inauguration a eu lieu en 1998. Il a cherché toute sa vie à comprendre, à retrouver les traces des déportés, à transmettre aux jeunes Allemands cette histoire locale, etc.

Et samedi, de ses mains, j’ai reçu le témoignage de mon grand-père qu’il lui avait écrit en 1998. Avec sa photo de lui à 19 ans, en 1944.

Soren nous a fait la visite : le chemin de la gare au camp, puis les 5 km du baraquement à la mine que les 400 hommes du camp faisaient chaque jour...

Une incroyable rencontre ! Je n’avais pas envie de le quitter. Les Allemands rencontrés lors des visites nous ont donné du temps pour discuter, raconter l’histoire, la mémoire se fait aussi grâce à eux.

Aujourd’hui, l’ancien camp est un stade de foot. Dans le cimetière, les cadavres de la fosse commune ont reçu une sépulture, avec un nom quand cela a été possible.

La mine a été transformée en déchetterie, avec du remblai qui efface le mur vertical de la paroi. Le rocher était de mauvaise qualité. Les pierres qui devaient servir, comme celles de Natzweiler, pour les grands projets du IIIᵉ Reich, ne furent utilisées que pour des routes, les chemins de fer.

Dimanche 27 avril : j’étais pour cette journée du souvenir de la déportation au camp de Vaihingen (camp mouroir), où il ne reste rien : quelques photos dans un mémorial et des tombes sans nom...

Mardi 29 avril : grâce à l’amicale de Dachau, j’ai l’adresse où se trouve la plaque commémorative du camp d’Allach.

Le baraquement est devenu le local du club de foot. Sur un mur, la plaque. Deux couronnes de fleurs sont posées à côté de bougies.

Ma fille est avec moi. Elle comprend la force de ce lieu et cueille des pissenlits pour les poser, doucement, à côté des bougies. Je pleure.

Ici jouent les nouvelles générations. Est-ce la vie qui reprend ou bien est-ce le signe de l’oubli ? Je suis partagée. Œuvrer pour la mémoire des lieux. 80 ans après, il n’y a quasiment plus de survivants. Cette période devient de l’Histoire, et c’est à toi, ma fille, que reviendra le flambeau de poursuivre cette mémoire. Il me faut te la transmettre.

Puis la visite de Dachau... Avec ma fille et mon compagnon, nous faisons les 3 km depuis la gare, le chemin que les déportés faisaient en arrivant là. Le camp de Dachau est immense. Je laisse ma fille pour le visiter, sans elle, sans que ses yeux d’enfants ne voient ce que je ne pourrai lui expliquer : l’indicible, l’incompréhensible. Je t’expliquerai quand tu auras grandi. J’étais à Dachau le 29 avril, exactement le jour où les Américains ont passé la porte et ont libéré les milliers d’hommes... Je suis restée pour la cérémonie organisée dans l’après-midi, en leur honneur.


80 ans. Je ne t’oublie pas, Papy.

Je suis devenue ergothérapeute. J’ai voyagé dans le monde en tant qu’humanitaire. Je crois que c’est ton héritage : prendre soin du vivant. J’essaye d’insuffler de la vie aux personnes en situation de handicap, à leurs familles, car oui, la vie est belle et on a tous notre place dans la société, avec nos différences.


Papy avait écrit à Soren en 1998, après l’inauguration du mémorial :« Merci, à présent je peux partir le cœur léger ! »

Il est mort quatre ans après, le 29 août 2002. J’étais dans le train pour venir te voir à l’hôpital.

Trop tard pour t’embrasser, mais pas trop tard pour transmettre et se souvenir.


Nadège Leclerc



Photo Nadège Leclerc - Vaihingen avec M. Freckemann, bénévole allemand et sa fille parlant français
Photo Nadège Leclerc - Vaihingen avec M. Freckemann, bénévole allemand et sa fille parlant français
Photo Nadège Leclerc - Vaihingen, avec Elisabeth aidant aux recherches
Photo Nadège Leclerc - Vaihingen, avec Elisabeth aidant aux recherches
Photo Nadège Leclerc
Photo Nadège Leclerc
Dachau, avec ma fille et mon compagnon - Chemin de commémoration entre la gare et le camp
Dachau, avec ma fille et mon compagnon - Chemin de commémoration entre la gare et le camp
Photo Nadège - Mémorial de Haslach - Allemagne
Photo Nadège - Mémorial de Haslach - Allemagne
Photo Nadège -Soren avec ma fille
Photo Nadège -Soren avec ma fille
Photo Nadège - Allach, une plaque et deux couronnes avec ma Fille
Photo Nadège - Allach, une plaque et deux couronnes avec ma Fille

7 Kommentare


Marie-Laure
27. Mai

C'est un beau voyage dans le passé avec tous les vivants, français et allemands qui sont libres grâce à ceux qui se sont battus pour cela. Que de résonnance avec le voyage que notre famille a fait à Dora et Buchenwald. J'espère que d'autres descendants de ces hommes courageux vont à leur tour rechercher leurs traces et leur parcours, vous montrez que c'est possible, même sans beaucoup d'éléments au départ. Merci beaucoup pour ces recherches et ce voyage.

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Gast
20. Mai

merci pour vos commentaires chaleureux, et merci à l'Unadif pour cet accueil, et surtout ce travail ...je découvre ces associations...des anciens, qui deviennent celles des familles, des descendants... ! :-)

Nadege

Bearbeitet
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Nadège, merci pour votre récit tellement important pour vous et votre fille, mais aussi pour tous ceux qui ont à cœur de transmettre, 80 ans après les faits, ces parcours des résistants déportés, qui ont vécu l'indicible, comme vous le dites très bien. Ces récits inédits et intimes nous confortent dans notre détermination à rechercher encore des témoignages pour que ces résistants déportés ne soient pas oubliés mais honorés comme ils le méritent.

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Philippe Berg
20. Mai

Merci à Nadège pour ce témoignage émouvant et si justement écrit. Il montre combien il est important de faire vivre la mémoire à travers les récits personnels.

Nous invitons chaleureusement tous ceux qui le souhaitent — membres ou non de l’UNADIF 38 — à nous faire parvenir leurs témoignages, récits de vie, souvenirs familiaux ou découvertes en lien avec la Résistance, la Déportation ou la mémoire de cette période.

N’hésitez pas à nous écrire via le formulaire de contact du site. Vos contributions, même modestes, enrichissent notre histoire commune.

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Gast
19. Mai

Ce récit m’a profondément marqué. Il dit beaucoup, avec simplicité, sur la transmission, la mémoire, et le lien intime qu’on peut entretenir avec une histoire familiale. Merci pour ce partage précieux, qui touche sans chercher à émouvoir, et laisse une trace durable.

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