Les femmes dans la Résistance en Isère : l’ombre du courage
- Philippe BERG
- 22 juin
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 juin

L’histoire de la Résistance en Isère est souvent racontée à travers des figures masculines. Pourtant, des centaines de femmes ont œuvré avec un courage remarquable, dans la clandestinité ou l’action directe, au péril de leur vie.
Elles furent agent de liaison, passeuse, imprimeuse, infirmière, ou encore militante politique. Certaines furent arrêtées, torturées, déportées.
Trop souvent oubliées, elles sont aujourd’hui mieux reconnues par les historiens, les institutions et les lieux de mémoire — mais il reste essentiel de poursuivre cette reconnaissance.
Des figures emblématiques de l’Isère
Marie Reynoard, professeure à Grenoble, fonde le mouvement « Vérité » qui fusionne avec « Combat ». Déportée à Ravensbrück, elle y meurt en mars 1945. Une rue, une plaque et un collège portent son nom.
Marcelle Pardé, née à Bourgoin-Jallieu, responsable du réseau Brutus, déportée et morte à Ravensbrück.
Marguerite Gonnet, responsable de « Libération-Sud » en Isère, arrêtée et internée à Montluc, rescapée.
Gabrielle Giffard, engagée au sein du groupe franc Merlin, active dans des actions armées.
Lili Garel, engagée dans le sauvetage des enfants juifs en lien avec la Résistance grenobloise.
Marcelle Baron, bien qu’originaire d’un autre département, sa déportation à Ravensbrück l’a liée au sort de nombreuses résistantes iséroises.
Élise Rivet, religieuse lyonnaise, engagée dans la protection de résistants et de juifs. Morte à Ravensbrück après s’être sacrifiée pour une autre déportée.
Léa Blain – Active dans le réseau Combat, engagée dans le sauvetage d’enfants juifs.
Lucette Blanc-Fatin – née le 31 mai 1901 à Grenoble. Elle tenait un café rue du 4 Septembre, devenu en 1943 une boîte aux lettres pour le réseau de renseignement Corvette. Arrêtée par la Gestapo le 14 décembre 1943, elle est déportée au camp de Ravensbrück, où elle reste jusqu’en avril 1945. À son retour, elle est décorée de la Croix de guerre pour son engagement dans la Résistance.
Jeanne Durand – Membre du réseau de renseignement en Isère. Elle a reçu la médaille de la Résistance des mains de M. Chavant. Elle était également chevalier du mérite social, titulaire de la croix du combattant 39-45 et de la médaille du combattant volontaire de la Résistance.
Paulette Jacquier-Roux – Membre du réseau Libération-Sud en région grenobloise.
Eva Péan-Pagés – Infirmière et résistante dans le réseau médical à Grenoble.
Isaure Luzet – pharmacienne à Grenoble (pharmacie du Dragon, cours Jean-Jaurés) en 1939, s’engage dans la Résistance après la défaite de 1940. Depuis son logement situé au-dessus de sa pharmacie cours Jean Jaurès, elle cache des Juifs en transit vers la Suisse, ainsi que des résistants, leur fournissant aussi de faux papiers.
Sous le pseudonyme de « Claude », elle collabore avec les réseaux Gallia et Mathilda, et joue un rôle actif dans le recrutement : c’est elle qui fait entrer Pierre Gascon dans le réseau Périclès.
Ancienne cheftaine scoute, elle ravitaille personnellement les maquis en vivres et en médicaments. Après la guerre, elle poursuit son engagement à la Croix-Rouge et dans des associations d’anciens résistants. Elle est décorée de la médaille de la Résistance en 1947 et reçoit le titre de Juste parmi les Nations en 1988. Elle décède à Corenc en 1994. En 2016, des objets symboliques de son engagement ont été remis au musée.
Parmi les femmes de l’Isère engagées dans la Résistance, Anne-Marie Lerme, dite Mimi, incarne avec force ces héroïnes discrètes mais déterminées. Née en 1918 à Domène, elle travaille dès l’adolescence comme secrétaire de mairie dans sa commune. Dès juin 1940, elle utilise cette position pour aider les réfractaires au STO, fournir de faux papiers à des familles juives, et servir de relais entre les maquis du Grésivaudan.
Son acte le plus marquant reste le sauvetage d’une enfant juive, Félicia Przedborski, qu’elle cache chez elle pendant plus d’un an, au péril de sa vie. Félicia devient "Jeanine Chevalier", scolarisée sous une fausse identité. Anne-Marie la protège sans jamais chercher à la convertir, lui rappelant que, plus tard, elle pourra « redevenir juive ». Ce geste, simple en apparence, témoigne d’une profonde humanité.
Après-guerre, elle s’éloigne de Domène et garde longtemps le silence. Ce n’est qu’en 1982 qu’elle est reconnue Juste parmi les Nations avec sa mère Marthe, pour avoir sauvé Félicia et sa famille. Elle reçoit cet hommage avec humilité, comme tant de femmes restées dans l’ombre.
Anne-Marie Lerme Mingat est décédée en 2017, à l’âge de 99 ans. Une vie de courage, d’engagement silencieux et de fidélité aux valeurs de justice. Elle rejoint aujourd’hui, dans notre mémoire collective, le cortège de ces résistantes dont le rôle fut longtemps méconnu, et qui méritent plus que jamais notre reconnaissance.
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D’autres grandes résistantes françaises
Elles n’ont pas nécessairement agi en Isère ou en Rhône-Alpes, mais leur action fut exemplaire, et elles représentent la diversité des visages de la Résistance féminine :
Germaine Tillion – Ethnologue, engagée dans le réseau du Musée de l’Homme à Paris, déportée à Ravensbrück. Elle continua son engagement pour les droits humains après-guerre. (Région : Paris)
Charlotte Delbo – Résistante avec son mari, déportée à Auschwitz. Auteure de témoignages bouleversants. (Région : Paris)
Rose Valland – Conservatrice du musée du Jeu de Paume, elle espionna les nazis pour documenter le pillage des œuvres d’art. (Région : Paris)
Marcelle Henry – Fonctionnaire et résistante, déportée et morte à Buchenwald. (Région : Paris)
Jeanne Bohec – Scientifique, spécialiste en explosifs, parachutée en Bretagne pour former des saboteurs. (Région : Bretagne)
Olga Bancic – Seule femme du groupe Manouchian (FTP-MOI), elle est arrêtée avec ses camarades. Déportée en Allemagne, elle est exécutée par décapitation à Stuttgart en mai 1944. (Région : Paris)
Simone Ségouin – FTP à Chartres, combattante lors de la Libération de Paris. Elle incarne l’engagement féminin dans les maquis. (Région : Centre-Val de Loire).
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Un héritage à cultiver et transmettre
Les femmes résistantes, en Isère comme partout en France, ont été les héroïnes silencieuses d’un combat pour la liberté. Leur action a été multiple : des missions clandestines aux combats armés, de l’aide aux persécutés au sacrifice ultime. Souvent délaissées dans les récits historiques, elles sont pourtant au cœur de la Résistance.
Leur mémoire est un trésor à préserver : elle nous enseigne la force de la solidarité, l’importance du courage face à l’oppression, et la puissance du refus de l’injustice. C’est aussi un appel à la vigilance : la liberté se défend chaque jour, à travers l’engagement, la parole, et la transmission.
En nommant ces femmes, en dressant leur portrait, en perpétuant leur souvenir dans les lieux publics, dans l’école et dans les commémorations, nous faisons le choix de rendre visible une histoire plurielle, riche de résistantes qui furent les piliers d’une France libre.
Que leur exemple continue d’inspirer nos combats présents et futurs pour une société plus juste, égalitaire et fraternelle.
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Connaissez-vous, dans votre famille ou votre commune, une résistante ou une déportée oubliée ? Avez-vous un témoignage, un souvenir, une photo ? Écrivez-nous à unadif38@gmail.com pour participer à un futur article.
Ressources pour aller plus loin
Livres
Femmes résistantes, collectif, éditions Robert Laffont
Les résistantes, Michèle Cointet, éditions Perrin
Germaine Tillion, une ethnologue dans la Résistance, Marie-Jo Bonnet, éditions Fayard
Olga Bancic, l’insoumise du groupe Manouchian, Isabelle Raquin, éditions Libertalia
Charlotte Delbo, une femme dans la nuit, Charlotte Delbo, éditions Gallimard
Films et documentaires
Les Femmes de l’ombre (2008), film de Jean-Paul Salomé
Germaine Tillion, une ethnologue dans la tourmente (documentaire)
Une femme à la Gestapo (2012), documentaire sur Lucie Aubrac
Charlotte (2021), film d’animation sur Charlotte Delbo
Bandes dessinées
Les résistantes, Benoît Collombat & Michaël Le Galli, éditions Casterman
Germaine Tillion, Mélanie Viennot & Charlotte Girard, éditions Futuropolis
Olga Bancic, la résistante de l’ombre (BD documentaire)
Musées et expositions
Mémorial de la Résistance et de la Déportation de l’Isère (Grenoble)
Musée de la Résistance et de la Déportation de Lyon
Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation (CHRD), Lyon
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