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Témoignages

12 Décembre 2024

Dernier survivant isérois des camps, il relate l’enfer nazi. 
Vincent Malerba

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Du monument grenoblois des Diables bleus aux camps de concentration de
Buchenwald-Dora, Vincent Malerba est l’un des derniers témoins de l’horreur nazie.

Alors qu’il s’apprête à fêter ses 100 ans, le résistant continue, avec l’aide de ses
proches, d’entretenir la mémoire.
L’amour pour son pays, pour sa famille, pour la vie. Ce sentiment si fort a accompagné Vincent
Malerba du 7 janvier 1925, jour de sa naissance rue Saint-Laurent à Grenoble, à ce lundi
9 décembre 2024 où, accompagné de son fils Jacques et de sa femme Délia, il accepte de
relater une vie hors du commun. Lui qui fêtera ses 100 ans en janvier.
Et quelle autre sensation que l’amour peut pousser un jeune soudeur de 18 ans à braver tous
les dangers pour exprimer son attachement au drapeau tricolore en rendant hommage aux
soldats de la Première Guerre en signe de résistance face aux occupants nazis le 11 novembre
1943. « Vincent est allé avec ses amis porter une gerbe au monument des Diables bleus.
Répondant ainsi à l’appel à la manifestation des mouvements de résistance. Accompagné
d’environ 2 000 Grenoblois, il a chanté la Marseillaise », raconte avec fierté Délia Malerba sous
le regard de son mari. L’hymne national entonné résonne comme la provocation de trop pour
les SS qui encerclent 600 manifestants. Une fois les femmes et enfants libérés, ce sont 386
hommes qui furent arrêtés et placés à la caserne de Bonne. Le début de 18 mois de souffrance
au cœur de la folie nazie.

Le 13 novembre, les 386 résistants grenoblois sont entassés dans des wagons à bestiaux. « Ils
sont partis sans rien avec des vêtements de fortune en plein mois de novembre... Dans ce
wagon, ils ont dit au revoir à leur ville, à leur pays. Pour certains, c’était un adieu », évoque
Jacques Malerba. Ils s’arrêtèrent au camp de Royallieu à Compiègne (Oise). Deux mois
d’attente d’une déportation inéluctable : « La solidarité était omniprésente entre les résistants
qui partageaient tout alors qu’il n’avait pratiquement rien. À Compiègne, ils pouvaient recevoir
des colis de leur famille, tout était mis en commun », explique Jacques. Son père acquiesce.
Finalement, Vincent Malerba débarque au camp de Buchenwald le 19 janvier 1944 au terme
d’un trajet qui aura eu raison de certains de ses compagnons. À Buchenwald il côtoie la mort
durant une “quarantaine” ayant pour but d’effacer l’humanité des âmes. Vivants, malades,
mourants et corps inertes s’entassent dans des baraquements durant quarante jours rythmés
par les violences allemandes. Là, le matricule 40 250 lui est attribué [ lire par ailleurs ], Vincent

Malerba n’est plus un homme doté d’une identité. Son métier de soudeur chez Bouchayer-
Viallet qu’il pratique depuis l’âge de 15 ans, après avoir quitté l’école trois ans plus tôt, lui vaut

d’être transféré au terrible camp de Dora. Un lieu de mort qui n’a de camp que le nom
puisqu’aucune “baraque” n’est construite ; les déportés dorment dans des tunnels. Pendant
trois mois, Vincent Malerba ne verra pratiquement pas la lumière du jour : « Dans le tunnel à
Dora, ils nous faisaient travailler 12 heures par jour pour un bol de soupe ». Dora « où la
température descend parfois sous les -20°C » emporte chaque semaine environ 500 vies (près
de 30 000 déportés y mourront) par excès de violence, fatigue ou de faim. « Mon père côtoyait
la mort à chaque instant, les nazis pendaient les déportés trop faibles et ordonnaient aux
survivants de les regarder longuement sous peine de les rejoindre », explique Jacques
Malerba. Son père, lui, écoute attentivement les paroles de ses proches et hoche la tête, les
yeux brillants d’émotion. Omniprésente, la mort hante les pensées du jeune grenoblois qui
pourtant s’accroche à la vie : « Un regard, un mot, un geste entre déportés permet à mon père
de s’accrocher à son amour pour la vie. La seule pensée de revoir ses proches l’a maintenu
debout », explique son fils.
Le 5 avril 1945, Vincent Malerba est emmené hors du camp par les nazis qui fuient devant
l’avancée des Américains. Une marche de la mort vers un énième camp où chacun des
déportés qui, épuisé, posait un genou à terre, était assassiné. « Finalement, les Allemands ont
pris la fuite en ouvrant les portes du camp. Mon mari et les déportés ont fui sans savoir
réellement où aller, comme des brebis. » Le jeune Vincent se réfugie avec des camarades dans
une grange avant que des soldats russes ne viennent les secourir.
Finalement, 18 mois après sa déportation, il retrouve la France. À jamais marqué par l’horreur
nazie : « En partant, mon père était un sportif de 70 kg. Quand il est revenu, il ne pesait qu’une
trentaine de kilos... Il lui a fallu une longue période de rééducation », décrivent l’épouse et le fils
de Vincent Malerba. Lui, assis au côté de Délia, écoute s’égrener les souvenirs relatés par ses

proches. « C’est ancré au plus profond de son âme alors c’est forcément encore
douloureux... », souffle son épouse.
« Mon père côtoyait la mort à chaque instant, les nazis pendaient les déportés trop faibles et
ordonnaient aux survivants de les regarder longuement sous peine de les rejoindre.
»

Article Dauphiné Libéré 12 décembre 2024

12 Décembre 2024

« Je n’avais plus de nom, j’étais devenu le
40 250 » 

Vincent Malerba

Dans le tunnel de Dora, Vincent Malerba n’était plus que le reflet du jeune soudeur grenoblois arrêté le 11 novembre1943.

“Vierzig tausend zwei hundert fünfzig. Ja !” Près de 80 ans après les camps de Buchenwald-
Dora, ces termes allemands sont gravés dans la mémoire de Vincent Malerba qui les répète

avec conviction. L’homme de 99 ans qui, entouré de ses proches en cette fin d’année 2024,
tente de mettre des mots sur ses souvenirs est profondément marqué. Ce nombre, 40 250, le
définissait. Vincent Malerba, et avec lui sa vie entière, n’existait plus. Son identité a disparu face
à la violence des SS, après avoir été dépossédé de tous ses biens, rasé et « désinfecté », le
matricule 40 250 lui a été attribué : « Plusieurs fois par jour, les Allemands faisaient l’appel. Au
début, je ne connaissais pas mon numéro. J’ai appris mon matricule à coups de schlague, ils
m’ont roué de coups », relate le résistant soutenu par sa femme.
Chaque jour commence par ce fameux appel avant d’entamer de travaux forcés : « Les
Allemands faisaient construire des missiles dans le tunnel, des V2. Mon mari soudait les pièces
avant que les techniciens ne montent l’appareil », explique Délia. Les épisodes de violence
rythment le quotidien de travail acharné dans le camp de concentration de Dora.
« Quand les missiles étaient finis, ils les sabotaient pour les empêcher de fonctionner »

Le résistant grenoblois se souvient : « Un jour, j’étais fatigué et mon camarade Auguste Celse
me dit de me reposer caché derrière un compresseur. Un SS m’a découvert et a alerté
“Franzose schlief”, en français “le Français dormait”. Le kapo [personne en charge d’encadrer
les prisonniers, NDLR] m’a alors puni de nombreux coups de schlague ». Le corps meurtri,
Vincent Malerba a pu compter sur la solidarité de ses compagnons pour le ménager et tenter de
le soigner comme il le pouvait. C’est d’ailleurs cet esprit de groupe plus que les maigres
pommes de terre et le café froid que leur servaient les SS qui ont permis au jeune grenoblois de
tenir face à l’enfer. Le froid, la mort, la violence, ces mots prononcés tour à tour par Vincent
Malerba et ses proches ne semblent pas assez forts pour exprimer l’inhumanité vécue par le
résistant grenoblois. La description brute des pendus dans le ciel allemand comme des corps
en décomposition qui, dépouillés de leurs habits par les déportés, attendent de rejoindre les
fours de Buchenwald, marque le cadre de l’horreur dans laquelle a survécu Vincent
Malerba. Preuve d’une résilience hors du commun, il n’a jamais cessé de résister : « Quand les
missiles étaient finis, ils les sabotaient pour les empêcher de fonctionner », explique Délia
tandis que son mari s’amuse de son insolence envers les nazis : « Le kapo criait pour nous
humilier “Franzose kaputt”, alors moi je lui répondais “toi kaputt connard”, et vu qu’il ne me
comprenait pas, il acquiesçait “Ja, ja” ».

Dauphiné Libéré, 12 décembre 2024

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