Pierre Gascon, résistant déporté et grand artisan de la mémoire
- Marie-Armelle FOUILLARD
- 14 avr.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 avr.

Dans le cadre du 80ème anniversaire de la libération des camps de concentration, il est essentiel de rappeler le parcours de celles et ceux qui ont combattu pour la liberté et qui ont payé un lourd tribut.
Après Charles Brun, c'est le portrait de Pierre Gascon, membre de l'UNADIF 38 et grand témoin de la résistance et de la déportation que nous vous proposons.
Son enfance
Pierre Gascon est né le 15 mai 1921 à Paris. Enfant unique de Cécile et Paul Gascon, il a une enfance heureuse, fondée sur des valeurs d’honnêteté, d’effort et d’amour pour son pays. En 1932, la famille s’installe à Charleville-Mézières dans les Ardennes pour les activités professionnelles de son père. Pierre fait ses études au lycée Chanzy jusqu’à la mi-mai 1940.
L'exode et l'arrivée à Grenoble
Devant l'avancée des troupes allemandes, la famille reçoit l'ordre d'évacuer et de se replier à Grenoble où Paul pourra retrouver un travail dans une usine du groupe qui l'emploie. Pierre passe avec succès son bac à Nîmes et ne pouvant plus préparer Saint-Cyr, s'inscrit à l'Institut National Polytechnique de Grenoble.
L'entrée en résistance
Paul et Pierre n'ont jamais accepté la capitulation et surtout la poignée de main entre Pétain et Hitler à Montoire. Pierre avec des camarades, distribue des tracts et des journaux clandestins. Son père lui, a intégré un réseau de résistance du mouvement "Combat".
Cependant, Pierre est repéré et doit s'exiler provisoirement de Grenoble aux chantiers de Jeunesse et Montagne. Mais pour aider des camarades qui ne veulent pas être recrutés pour le Service du Travail Obligatoire, il déserte et demande conseil à son père. Désormais, il entre en clandestinité. En avril 1943 il intègre, grâce à Isaure Luzet, pharmacienne à Grenoble et résistante, le réseau Périclès fondé et dirigé par le Colonel Sarrazac-Soulage, dit "Robert". Il effectue différentes missions (repérage de lieux, organisation de ravitaillement pour les maquis écoles sous le pseudo de "Gargantua"). Il suivra pendant trois mois l'école des Cadres du Maquis (Le Louvre) d'où il sortira avec le grade fictif de sous-lieutenant. Le colonel Sarrazac-Soulage lui donne l'ordre de rejoindre avec deux camarades, un maquis dans le Haut-Jura.

L'arrestation
Le 21 septembre 1943, Pierre et ses deux camarades prennent le train pour Lyon avec des consignes strictes : avoir des "faux papiers parfaitement en règle", sans défectuosité, et ne pas porter d'arme. Malheureusement, en gare de la Verpillière, un de ses camarades contrôlé par un feldgendarm sort une arme. En voulant neutraliser ce dernier, Pierre est arrêté car d'autres policiers armés sont également montés dans le wagon. Pierre sera transféré immédiatement au siège de la Gestapo à Lyon puis à la prison Montluc. Ce qu'il ne sait pas, c'est que son père, arrêté sur dénonciation à son lieu de travail 2 jours après lui, y est également, mais ils ne se retrouveront qu'à Compiègne, au camp de Royallieu. Pendant son "séjour" à Montluc, Pierre subit des "interrogatoires musclés" mais ne dira rien de ses activités. Son père, selon un compagnon d'incarcération, ne cesse de remonter le moral de ses camarades d'infortune, et leur communique sa foi en la victoire sur l'oppresseur nazi.
La déportation : l'enfer des camps
Le convoi qui les emmène tout droit en enfer part de Lyon le 28 octobre 1943 et arrivera à Buchenwald le 30 octobre. Pierre et Paul découvrent alors l'horreur et la déshumanisation. Pierre dit "Les déportés ne sont plus des humains, ni même des bêtes, mais des "stück"** ...
Pierre restera à Buchenwald, tandis que son père sera lui transféré après la période de quarantaine, à Dora, où il meurt à 53 ans, malade et épuisé le 12 février 1944. Pierre, animé par une foi chrétienne indéfectible, et résistant actif à l'intérieur du camp (participe à la fabrication d'un émetteur-récepteur grâce auquel des informations précieuses seront fournies pour les bombardements alliés) conserve l'espérance de la victoire et survit à tous les mauvais traitements. Cet émetteur-récepteur étant continuellement déplacé à l'intérieur du camp, les Allemands n'ont jamais pu s'en emparer. C'est ainsi que la nouvelle du débarquement en Normandie est parvenue aux détenus. Et lorsque Pierre l'annonce à un Kapo, ce dernier lui demande comment il le sait. Pierre lui répond alors tout souriant : "C'est mon petit doigt qui me l'a dit"...
** des bouts, des morceaux
L'évacuation et la marche de la mort
Sur ordre d'Himmler, commence le 8 avril 1945, soit 3 jours avant la libération du camp le 11 avril par l'armée américaine, une marche de la mort censée aller au camp de Flossenbürg situé en Allemagne, près de la frontière tchèque, afin d'y exterminer les déportés. Le convoi essayera en vain pendant des semaines d'acheminer les déportés, mais n'arrivera jamais à destination en raison du bombardement incessant des voies ferrées par l'aviation alliée. Enfin, le général Patton libère les derniers déportés le 6 mai 1945 à Salzbourg... Mais, depuis leur départ du camp, beaucoup sont morts. Pierre lui, s'en est sorti.
Après la guerre, un engagement continu
Après la guerre, Pierre termine ses études, se marie en 1947 avec Jeanne Boyoud et fonde une famille nombreuse. Il a une vie personnelle et professionnelle très active, et conserve intact son désir d'engagement pour le bien commun. C'est ainsi qu'il occupera diverses fonctions : ingénieur, conseiller municipal sous Michallon, magistrat au tribunal de commerce, 1er adjoint d'Alain Carignon, conseiller général puis régional. Il est également à l'origine avec Robert Saul en 1963, du "foyer des Alpes" pour jeunes en difficulté, qui deviendra ensuite le C.O.D.A.S.E (COmité Dauphinois d'Action Socio Educative). Mais c'est fidèle au serment de Buchenwald, et pour faire vivre la mémoire de ceux qui ne sont pas revenus, dont son Père qu'il admirait tant, que Pierre s'est investi pour témoigner de son expérience de la résistance et de la déportation auprès des écoliers, collégiens et lycéens, jusqu'à son dernier souffle. Il a participé aux commémorations et exercé pendant 35 ans la présidence de l'UNADIF 38, avant de passer le flambeau à Jean Paul Blanc en 2016.

Honneur et reconnaissance à titre militaire
Médaille de la résistance - 24/04/1946
Croix du Combattant Volontaire de la résistance 31/07/1968
Croix de Guerre 1939-1945 avec Palmes - 19/01/1970
Croix du Combattant Médaille de la Déportation
Légion d'Honneur :
Chevalier - 19/01/1970
Officier - 04/11/1982
Commandeur - 01/04/1994
Grand Officier - 31/12/2010
Comme il a eu l'occasion de le dire, il reçoit ces décorations avec humilité comme une reconnaissance pour lui et pour son père, des années de combat pour son pays. Fervent défenseur de la réconciliation, il est un européen convaincu. Pierre Gascon est mort le 12 février 2019, à l'âge de 97 ans, entouré de sa famille et 75 ans jour pour jour après le décès de son père à Dora. Que vivent leurs mémoires !
N.B. Pierre en rentrant de déportation a écrit un manuscrit daté de février 1946 qui relate cette terrible marche de la mort. Il sera publié des décennies plus tard et s'intitule "De Goethe à Mozart ou de Weimar à Salzbourg". Il est disponible sur commande via notre boutique Internet. Les ventes se font au profit des actions mémorielles de l'UNADIF 38.
Merci, Jacques à toi et à ta famille, pour ces mots profondément émouvants.
Tu exprimes avec justesse ce que fut Pierre Gascon : un homme de courage, de conviction et de fidélité à des valeurs essentielles, que nous avons le devoir de faire vivre aujourd’hui encore. Jusqu’à la fin de sa vie, il a porté la mémoire de celles et ceux qui, comme lui, ont risqué leur vie pour défendre la liberté et la dignité humaine. Que son exemple, comme tu le dis si bien, continue d’éclairer notre route face aux vents contraires.
Avec toute notre reconnaissance.
Un immense respect pour Pierre GASCON et son engagement.
Des femmes et des hommes comme lui ont défendu nos libertés au péril de leur vie.
leur mémoire mérite d'être honoré chaque jour. Par son engagement il a rappelé que la dignité, la liberté et le courage ne sont pas des mots mais des actes. Que son exemple continue de semer l'espoir là ou le vent tente d'éteindre la flamme.
Avec toute mon admiration,
Jacques MALERBA et Famille